ERRANCE THÉRAPEUTIQUE ET DIAGNOSTIC DU SYNDROME GILLES DE LA TOURETTE

Analyse psychosociale des trajectoires de soins auprès des parents de patients

Par Véronique Goussé1, Pierre Denis1, Andreas Hartmann2

Ce projet a pour but d’améliorer la diffusion des connaissances sur le Syndrome Gilles de la Tourette (SGT) qui semble encore mal connu et diagnostiqué par les praticiens de santé en France. Ce manque de connaissances contribue à une errance thérapeutique qui alourdit les difficultés inhérentes au trouble et confrontent les parents à une attente parfois de plusieurs années avant qu’un diagnostic soit effectivement posé. Plus précisément, le projet a visé à étudier les trajectoires parentales, trajectoires d’errance thérapeutique telles que les familles sont en mesure d’en rendre compte par le récit de leur propre histoire.

Ainsi 25 familles ont répondu à notre demande d’entretien ; 25 parents et 6 personnes atteintes, permettant de réaliser un recueil de plus de 200 pages d’entretiens cliniques.

Au vu des données recueillies, une synthèse des entretiens réalisés par Pierre Denis montre :

1) Beaucoup de parents interrogés disent qu’il faut de la ténacité et parfois des relations auprès de personnes détenant une expertise dans le domaine médical pour obtenir enfin le diagnostic de SGT. Les moyens financiers sont également évoqués comme une contrainte supplémentaire au plan des soins engagés et non remboursés, pour leur enfant.

2) Les premières consultations évoquent rarement (voire jamais) un SGT tant les tics sont liés pour les praticiens à une composante physiologique ou faisant penser à des troubles neurodéveloppementaux de type attentionnel ou dans la galaxie des DYS. En revanche, l’inscription dans le temps de cette symptomatologie à laquelle s’ajoute, au bout de quelques mois voire années, d’autres signes devrait « normalement » renforcer la reconnaissance du SGT ; or, cela semble se produire très rarement, au regard des entretiens réalisés. Dans seulement une situation, le médecin traitant, pédiatre de formation, à fait des démarches pour trouver des informations sur cette symptomatologie qu’il ne connaissait pas au demeurant. Il entreprit ce travail de recherche suite aux plaintes de sa jeune patiente devenue adolescente pour laquelle les premiers signes étaient apparus près de dix ans auparavant

3) Rares sont en effet les professionnels qui connaissent le SGT. La plupart des spécialistes consultés vont traiter les tics par le prisme de leur spécialité.

Les témoignages peuvent nous permettre de suivre le parcours médical par lequel la plupart des patients passent. En fonction de chaque étiologie suspectée, ils vont se diriger vers certains praticiens du fait de leur spécialité.

Lorsque les parents suspectent une étiologie somatique, les praticiens consultés sont le plus souvent les pédiatres, les ORL, les allergologues, et les ophtalmologues parfois les pneumologues. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une suspicion d’étiologie psychologique ou lorsque les premiers troubles qui attirent l’attention, sont plus liés aux comorbidités (troubles attentionnels, troubles Dys), les parents vont se tourner vers les psychologues, les homéopathes, les orthophonistes voire les psychomotriciens afin de réaliser des séances de relaxation.

4) Comme le soulignent plusieurs parents, le fait que les tics s’estompent voire s’arrêtent lors des consultations ne facilite pas le fait que leur discours soit écoutés et compris. Plusieurs parents disent avoir eu le sentiment désagréable que les médecins les prenaient pour des personnes trop anxieuses ! Ainsi, les professionnels de santé rencontrés en consultation arguent que le SGT est un syndrome rare qui ne ressemble pas aux signes observés chez l’enfant lorsqu’il est vu.

5) Les parents passent par plusieurs phases lors de ce parcours diagnostic. Ces phases sont différentes en fonction des situations. Nous pouvons distinguer deux cas de figures :

– Le premier concerne les parents qui sont passés par cette errance diagnostique décrite précédemment. Elle les a conduit à adopter une démarche proactive pour obtenir un diagnostic. Ces parents expriment beaucoup de colère à l’égard des professionnels de santé qui n’ont pu les orienter vers la reconnaissance du trouble dont souffrait leur enfant. A la fin de leur Odyssée, beaucoup d’entre eux ont pu, de part leurs recherches, développer une certaine expertise du SGT. Le diagnostic, lorsqu’il est posé représente une satisfaction, un soulagement.

– Pour d’autres, les rencontres avec des personnes sensibilisées au SGT ont permis de leur épargner ou d’écourter cette errance. Dans ces situations, les parents décrivent parfois une certaine brutalité dans la pose du diagnostic. Celle-ci n’est pas forcément due à un manque de tact de la part des professionnels de santé mais à la sidération qu’ils peuvent ressentir face à un syndrome dont ils ont une représentation caricaturale et qu’ils ont du mal à assimiler aux troubles de leur enfant. Pour ces parents, il peut exister un contrecoup teinté de tristesse voire un épisode dépressif suite à la pose du diagnostic.

6) Pour les parents, il reste essentiel de mettre un nom sur les troubles. La pose du diagnostic est décrite comme un soulagement, c’est le terme qui revient souvent. Mais au-delà du diagnostic, il y a aussi la manière dont il est posé et expliqué aux parents. A ce niveau, les participants interrogés sont très satisfaits du temps qui leur a été consacré et de l’écoute qu’ils ont eue au centre de référence de la Salpêtrière.

5) Au niveau éducatif et scolaire, le diagnostic posé permet de réajuster les pratiques, tant pour les parents que pour les enseignants avec lesquels il devient souvent plus aisé de communiquer sur les difficultés rencontrées. Ainsi en classe, l’élève qui pouvait être perçu comme turbulent, provocateur, inattentif et parfois exaspérant, devient un enfant nécessitant de l’aide. Cependant, les méconnaissances sur le SGT, rendent encore difficiles l’accès aux adaptations pour certains élèves qui, malgré un diagnostic posé, sont encore parfois perçus comme perturbateurs pour leurs enseignants voire leurs pairs et qui ne peuvent pas se concentrer lorsqu’ils bougent ou produisent des bruits pendant la classe. Il est des situations qui peuvent être clairement définies comme maltraitantes à l’égard de ces enfants.

Après le diagnostic, le positionnement éducatif peut demeurer compliqué : les parents sont amenés à devoir faire la part des choses entre ce qui relève du SGT et, en conséquence, qui nécessite un accompagnement et ce qui doit être recadré. Cette difficulté est particulièrement présente à l’adolescence. Cette difficulté de positionnement éducatif vis-à-vis de l’enfant peut-être source de tensions au sein des fratries. Les parents craignent de faire preuve d’iniquité entre les frères et sœurs. Ces derniers interpellent fréquemment les parents à ce sujet.

Cette question de la culpabilité est majorée par une culpabilité parentale liée à l’étiologie supposée du SGT. Bien que le questionnaire n’aborde pas explicitement cette thématique, la question de la cause du SGT revient systématiquement dans les entretiens : tabagisme, divorce, transmission génétique, décès au sein de la famille….

Limites et perspectives 

Les parents recrutés l’ont été via l’association ; il est donc possible que les familles ayant un parcours encore plus difficile n’aient pas été vues, étant donné qu’elles n’adhèrent pas à l’AFSGT. Il existe donc des données manquantes, mais c’est souvent le cas des recherches portant sur les familles

Il semble possible de réaliser un fléchage en direction des professionnels se trouvant prioritairement sur le parcours des patients afin d’orienter les sensibilisations vers certaines spécialités médicales ou paramédicales. Cet aspect de l’étude pourrait évoluer au regard de l’actualité dans le cadre de la « stratégie autisme » où les pouvoirs publics vont mettre en place dans chaque département des plateformes de coordination et d’orientation pour les diagnostics des troubles neurodéveloppementaux. Un retour de notre projet est actuellement envoyé à Mme Claire Compagnon qui pilote ce travail sur les plateformes, permettant à terme d’y inclure le SGT.

1 Laboratoire Psychologie Sociale (EA 849), Université d’Aix-Marseille.

2 Centre de Référence National Maladie Rare : ‘Syndrome Gilles de la Tourette’ & Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, 75651 Paris.

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Ces travaux ont été financés à hauteur de 8 500 € par l’AFSGT.